Et allons bon, quelle partie de son anatomie ne va-t-elle pas maltraiter aujourd'hui ? Non, un nez humain n'est pas un buzzer, même quand le paternel aime à répondre à toutes les questions possibles et imaginables. Mais, hélas pour lui, elle rit. Et là, quand elle rit, il n'est plus ici, il n'est plus là-bas. Il en oublie le monde qui l'entoure pour ne plus se voir, se croire que seul avec elle au milieu d'un continent blanc. Cliché ? Platitude ? Ressassage de vieilles images ? Oui, clairement, très clairement.
Sauf que le chevalier connaît la joie, et ne cherche pas plus loin que cela. Il n'a d'ailleurs jamais su l'exprimer vraiment, pas plus qu'il n'a su depuis des années se montrer triste. Alors ce n'est pas dans le Nord, avec sa fille pour seul témoin, qu'il va chercher l'originalité. Il se laisse conduire par ce sourire, par cette joie, par le fait qu'elle représente tout ce que, peut-être, il a voulu, consciemment ou non. Et puisqu'elle est heureuse, il l'est aussi. Il sent les muscles de son cou se relâcher, son dos légèrement se vouter, et ses pas ralentir. Il ne doit plus être le chevalier connu, il ne doit plus assumer son statut de « plus beau parti de Flandres » (et ce n'est même pas lui qui s'est ainsi qualifié), il peut juste être, caché aux yeux des Autres, Guillaume, père de Bérénice et époux de Daresha.
Et c'est en souriant qu'il essaye d'attraper les doigts de sa fille à grands coups de langue. Il n'y a pas de raison qu'elle soit la seule à s'amuser, lui aussi veut être là, à côté d'elle, et participer à sa joie.
- Non, il n'y a pas de valet, ici, répond-il en détachant attentivement chacune des syllabes, sans même se demander pourquoi elle pose cette question. La nouvelle d'une guerre avec la Bretagne lui arriverait même qu'il lui faudrait une heure pour comprendre ce qu'on lui disait.
Alors il continue sa marche, souriant toujours à la lionne. Puis s'appuie contre un arbre, et se laisse glisser le long de son tronc. En un instant, le voila assis, et sa fille posée face à lui, entre ses jambes.
Qu'elle est belle ainsi, hein, Jeneffe ? Qu'est-ce que tu lui réserves ? Mariage arrangé, certainement, alors que tu t'es offert le luxe de faire conduire le tien par l'Amour. Quel courage chevalier. Tu la veux joyeuse et tu la contraindras à ne servir que ton nom, que ton prestige. La mérites-tu seulement ? Le regard se voile rapidement, et avec lui la joie s'estompe de son visage. Enfin tu vois le vrai visage de tes responsabilités. Encore une qui souffrira par ta faute, et elle tu ne pourras pas l'accuser d'être Bretonne pour te disculper. Le visage se baisse, le chevalier a disparu, l'homme seul ne sait réagir à ce qu'il vient de comprendre, ce jour.